Sauvetage de Dexia (CMP)

Première séance du mardi 25 octobre 2011

Sauvetage de Dexia, François de Rugy 25 octobre… par Pompili

Extrait du compte-rendu officiel :

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Yves Cochet et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. La perspective de la campagne présidentielle a conduit, dans cette enceinte, ces derniers jours, à des échanges excessifs, à des mises en cause peu glorieuses pour leurs auteurs, à la dénonciation, par la voix de membres du Gouvernement, de la prétendue « irresponsabilité » de l’opposition – nous l’avons encore entendu cet après-midi, de la bouche du Premier ministre.

C’est pourquoi je souhaite débuter mon propos en rappelant avec force que, depuis le déclenchement de la crise financière, l’opposition parlementaire a fait preuve du sens des responsabilités. Ainsi, lorsque nous avons été amenés à nous prononcer sur le plan de sauvetage des banques que vous nous avez soumis, il y a trois ans presque jour pour jour, le 14 octobre 2008, nous n’avons pas tenté de tirer un bénéfice politique de la légitime colère de l’opinion face aux pratiques prédatrices révélées par cette crise. C’était à l’époque le sens de notre abstention, qui visait à ne pas ajouter la crise à la crise tout en refusant de vous donner un chèque en blanc faute de réponses précises à un certain nombre de nos interrogations ou de nos exigences de moralisation et de régulation de la finance.

Pas plus que nous ne voulions alors faire preuve de démagogie, nous n’entendons aujourd’hui adopter la politique du pire.

Ces derniers temps, on cite souvent une célèbre formule que Vincent Auriol a prononcée dans cet hémicycle, en tant que ministre des finances, en 1936 : « Les banques, je les ferme ; les banquiers, je les enferme. » Nous ne céderons pas à cette démagogie. La colère de nos concitoyens – car c’est bien de colère qu’il s’agit – vis-à-vis des banques est pourtant forte et légitime. Le sauvetage de Dexia est un impératif pour les épargnants belges, qui lui ont confié la gestion de leurs économies ; il est indispensable pour sa filiale Dexia crédit local, qui assurait encore il y a peu l’activité de prêt aux collectivités locales françaises.

Nous ne nous opposerons donc pas à ce plan, mais j’entends bien que cette motion soit l’occasion de faire entendre dans cet hémicycle, une fois de plus et plus fortement que jamais, les interrogations et les exigences de nos concitoyens, dont il faut bien constater qu’elles n’ont toujours pas obtenu, en trois ans, de réponses efficaces du Gouvernement.

Ces questions seront d’ailleurs au cœur de la proposition de résolution visant à la création d’une commission d’enquête que je déposerai, avec mes collègues écologistes, sur le bureau de notre assemblée dans les prochaines heures, car il est, au-delà des mesures d’urgence sur lesquelles nous nous prononçons aujourd’hui, des dysfonctionnements, des insuffisances, voire des délits que l’on ne peut passer sous silence tant ils minent la fameuse « confiance » dont on ne cesse de rechercher les effets – une confiance que l’on n’a aucune chance de retrouver tant que régneront l’opacité et les petits arrangements entre amis qui se font toujours, au bout du compte, sur le dos de l’État et des contribuables.

Il y a trois ans, notre assemblée a déjà eu à se prononcer sur le cas Dexia, à l’occasion d’un premier projet de loi de finances rectificative. En commission, Mme Lagarde, alors ministre de l’économie et des finances, s’était longuement expliquée sur les raisons de la situation dramatique de l’établissement, sur les causes de sa fragilité sur les marchés et sur le mécanisme mis en œuvre pour le sauver. Je l’entends encore nous expliquer que le cours d’achat – 9,90 euros à l’époque – était légitime, puisque basé sur la moyenne des trois derniers mois. Nous avions été plusieurs, y compris sur les bancs de la majorité, à nous étonner de ce niveau élevé de rachat, mais « circulez, il n’y a rien à voir », nous avait-on répondu alors…

Aujourd’hui, le cours de l’action de Dexia est de 82 centimes, et la perte, c’est l’État – à hauteur d’un milliard – et la Caisse des dépôts – à hauteur de 2 milliards – qui doivent l’assumer.

En, séance, monsieur le ministre, nous avions interrogé le Gouvernement : reprenez les comptes rendus des débats, ils sont d’une cruauté rare. De cette même tribune, voilà ce que je vous avais demandé : « Êtes-vous prêts à mettre un terme aux produits financiers aussi opaques qu’inutiles ? Êtes-vous prêts à mettre un terme aux rémunérations des dirigeants, qui dépassent l’entendement ? Comment justifier que les participations que l’État s’apprête à prendre dans certaines banques ne lui donnent aucun droit de regard sur la politique de ces banques ? La présence de l’État au conseil d’administration serait pourtant la meilleure des garanties. Pourquoi se l’interdire, si ce n’est parce que l’on continue à soutenir aveuglément un système qui est pourtant à l’origine de cette crise ? »

Ces interrogations, vous les avez balayées d’un revers de la main. J’entends encore l’un de nos collègues du groupe UMP me répondre : « Notre gouvernement n’est pas collectiviste ! ».

Et pourtant, qui pourrait nier que c’est l’absence de réponse à ces questions qui nous conduit aujourd’hui à devoir nous prononcer sur le démantèlement de Dexia et à en répartir la facture et le risque entre le contribuable, la Caisse des dépôts et même la Banque postale ?

Nous vous demandions une clarification sur les produits financiers opaques. C’est justement l’exposition de Dexia aux produits toxiques qui a provoqué la brusque chute de confiance des marchés qui nous contraint à réagir aujourd’hui dans la précipitation !

Nous vous demandions d’encadrer enfin la rémunération des dirigeants et de mettre fin aux bonus et autres rémunérations indécentes et contraires à l’intérêt même des établissements bancaires. Mais, à peine sauvée par les États français et belge, Dexia, tout en supprimant des centaines d’emplois, a distribué en 2009 huit millions d’euros de primes à ses cadres dirigeants français ! Son ancien administrateur délégué, démis après la première intervention de l’État, a perçu une indemnité de départ de 825 000 euros. Et c’est par la voix du secrétaire d’État fédéral belge au budget, M. Melchior Wathelet, que l’on apprend que M. Pierre Mariani, l’ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy, que vous aviez imposé à la tête de l’établissement en 2008 – je cite le ministre belge – « M. Pierre Mariani, donc, s’est octroyé un bonus pour sa bonne gestion de 600 000 euros en avril dernier ».

M. Roland Muzeau. Quel scandale !

M. François de Rugy. Et le responsable gouvernemental belge de conclure : « Ça pose un vrai problème d’ordre éthique, d’ordre moral ». J’ai l’impression que votre collègue belge est plus clairvoyant que vous !

En 2008, ici même, nous vous demandions que l’intervention de la puissance publique soit accompagnée d’une prise de contrôle sur les décisions opérationnelles de la banque. Mais c’est précisément l’absence de transparence dans la gestion de Dexia, et l’absence d’information des États qui nous conduit à devoir démanteler la banque.

Nous vous mettions en garde contre l’excès de confiance dans les mécanismes prudentiels classiques qui venaient de démontrer leurs insuffisances dans le déclenchement de la crise financière de 2008. Mais qu’apprend-on aujourd’hui dans la presse, et non dans notre commission des finances, ce qui en dit long sur votre volonté d’informer la représentation nationale ? On apprend que, courant 2010, l’Autorité de contrôle prudentiel française, l’ACP, aurait émis des alertes répétées, et même envisagé de placer Dexia crédit local, la filiale française, sous surveillance spéciale, en raison de ses risques de liquidité. Le journal Libération a révélé, en fin de semaine dernière, l’existence d’un rapport du superviseur, daté de fin 2009, dans lequel étaient mis en lumière – je cite – des « inexactitudes de la communication financière de la banque sur son état de stress réel ». Toujours selon Libération, 50 milliards d’euros de nominal de titres toxiques auraient été sciemment passés sous silence.

M. Jean-François Mancel. Si c’est Libération qui le dit, nous voilà rassurés !

M. François de Rugy. Les fonds propres du groupe, surestimés en toute connaissance de cause par les responsables de la banque, ont permis à Dexia – je vous le rappelle, ce n’est pas anodin – de passer avec succès les stress tests européens de cet été, au point que les ratios annoncés en faisaient la banque française la plus sûre du marché. On croit rêver !

Ces informations capitales, détenues par les autorités prudentielles, qu’en a-t-on fait ? Rien ! Ces alertes, pourtant fort inquiétantes, ne semblent avoir donné lieu à aucune sanction. Ni transmission à l’Autorité des marchés financiers ni saisine de la justice. Et l’on est aujourd’hui obligé de se perdre en conjectures pour déterminer si les autorités publiques savaient ou non. Peu importe, au final, ce qu’en ont su les ministres : ce qui compte, c’est que rien n’a été fait, rien n’a été mis en œuvre pour assurer un véritable contrôle public de l’établissement. Et cela, c’est la conséquence directe de votre refus de voir l’État prendre toutes ses responsabilités en 2008 – comme nous le demandions – dès lors qu’il montait au capital de la banque.

Pour obtenir l’aval parlementaire à ce nouveau plan, qui n’est plus de sauvetage, mais de démantèlement, vous tentez de rassurer les Français. Il n’y aura pas, dites-vous, de prise de participation directe de l’État, juste une garantie. Garantie de 40 milliards d’euros tout de même, soit deux points de produit intérieur brut ! Quand on voit à quelles contorsions budgétaires nous en sommes réduits et quelle imagination débridée il vous faut mettre en pratique pour créer toutes sortes de taxes plus baroques les unes que les autres, dans le but de contenir d’une décimale le déficit public dans le cadre du projet de loi de finances, vous conviendrez qu’un engagement qui porte sur 2 % du PIB, ce n’est pas rien, et cela ne se prend pas à la légère.

Il n’y aura plus, nous dites-vous, de dérives dans les rémunérations et les bonus. C’est vrai. Mais vous n’y êtes pour rien : c’est le changement de majorité au Sénat qui a permis d’obtenir l’inscription dans la loi d’un principe – refusé par la majorité à l’Assemblée nationale – de responsabilité des dirigeants des banques, qui ne pourront percevoir aucun bonus ou rémunération variable lorsque leur entreprise sera aidée par l’État.

M. Michel Bouvard. Vous êtes gonflés ! IL n’y a qu’un groupe, le vôtre, qui ait voté contre les conclusions de la commission mixte paritaire !

M. François de Rugy. Non, c’est la réalité, mon cher collègue Bouvard ! Vous avez refusé ces mesures, ici même, à l’Assemblée nationale.

C’est le Sénat qui a imposé la consultation des élus locaux au cas où il serait nécessaire de faire varier le plafond de la garantie de l’État au titre des emprunts toxiques. C’est le Sénat, enfin, qui a prévu la rédaction et la remise au Parlement d’un rapport complet sur le volume et la nature des emprunts toxiques souscrits par les collectivités territoriales.

M. Patrick Lemasle. C’est vrai !

M. François de Rugy. Pour autant, des questions demeurent sans réponse. Sur les nouvelles structures créées à la suite du démantèlement de Dexia, d’abord. Je crois, mon cher collègue Bouvard, que cela vous concerne un peu, au regard de vos responsabilités auprès de la Caisse des dépôts et consignations.

Vous aurez du mal à me démentir sur ce sujet : en chargeant, dans tous les sens du terme, la Caisse des dépôts de la reprise d’une partie du portefeuille de Dexia, vous faites d’un organisme dont la finalité – nous serons au moins d’accord sur ce point – est de gérer l’épargne des Français et de financer des politiques d’intérêt général des collectivités territoriales, en particulier le logement social, une structure de consolidation de titres toxiques.

M. Michel Bouvard. Cela n’a rien à voir ! Les fonds d’épargne ne sont pas concernés !

M. François de Rugy. Une telle démarche peut se comprendre parce qu’il faut trouver des réponses rapides à la situation créée par la faillite annoncée de Dexia, mais elle doit être accompagnée d’une garantie forte de l’État. Vous savez très bien qu’en 2008, déjà, les responsables de la Caisse des dépôts ont mis le holà à certains engagements que le Président de la République voulait leur faire prendre. Je réitère ici l’interrogation de Jean-Vincent Placé au Sénat : on peut se demander à juste titre pourquoi le portefeuille risqué qui lui échoit n’est garanti que dix ans…

Quant à la Banque postale, qui est le premier collecteur de l’épargne des Français via le livret A – l’épargne populaire –, comment pourra-t-elle faire face à son nouveau rôle de financement des collectivités locales sans fonds propres nouveaux ? Et ces fonds, où ira-t-elle les lever ? Dans quelles conditions financières ? Sur un marché où régneront quelles règles ?

Monsieur le ministre, au-delà du texte qui nous est proposé aujourd’hui, il y a bien un problème politique, auquel il va falloir apporter des solutions. En travaillant sur le dossier Dexia, j’ai retrouvé une note que j’avais prise il y a trois ans, suite à une audition de M. Noyer, le gouverneur de la Banque de France, devant la commission des finances. Voilà ce que déclarait alors un responsable peu suspect de sympathies « collectivistes » – pour reprendre une épithète qui nous a été accolée. « Il conviendrait », disait M. Noyer le 7 octobre 2008, « de repenser sans tabou l’ensemble de notre réglementation financière : le système des agences de notation, la gestion des risques, l’organisation des marchés, la question des rémunérations, celles-ci ne devant plus inciter au « court-termisme » et à la prise de risques excessifs. On pourrait, par exemple, envisager un code de bonne conduite des banques, dont la violation serait sanctionnée par des exigences plus sévères en termes de fonds propres. »

Trois ans après – l’affaire qui nous occupe cet après-midi en est la triste illustration –, où en est-on de ces questions ?

Les agences de notation continuent de faire la pluie et le beau temps et donnent le la à votre politique budgétaire. Vous le reconnaissez vous-mêmes.

La gestion des risques n’a jamais été aussi aléatoire et les mécanismes prudentiels continuent de faire la preuve de leurs défaillances. Dexia en est la triste illustration !

L’organisation des marchés s’apparente toujours, pour beaucoup, à la loi de la jungle, car la taxation des transactions financières piétine.

Quant à la question des rémunérations, on s’est enfin résolu à l’aborder, mais en la limitant aux banques aidées, alors qu’elle devrait être prise à bras-le-corps, et des règles très strictes appliquées à tout organisme bancaire ou financier.

Enfin, pour ce qui est des exigences en matière de fonds propres, faute d’avoir régulé cette question des rémunérations et brisé cette logique prédatrice qui les sous-tend, nous y sommes, et les gouvernements européens s’apprêtent à relever leurs exigences sur la question, ce qui sera extrêmement difficile compte tenu de la réalité des marchés, et nécessitera sans doute, dans les prochaines semaines, de nouvelles garanties publiques, avec un corollaire inévitable : la dégradation de la parole financière de l’État et une nouvelle perte de confiance dans votre parole, monsieur le ministre, celle du Gouvernement.

Nous savons pertinemment que cette motion de rejet préalable ne sera pas adoptée. Mais en la défendant, et en demandant aux groupes de l’opposition de la voter, les écologistes que je représente veulent clairement signifier que l’indispensable intervention publique pour accompagner le démantèlement de Dexia est la conséquence de choix politiques qu’il vous faut, vous et votre majorité, assumer.

En nous abstenant tout à l’heure, lors du scrutin sur le texte proprement dit, nous démontrerons que cette exigence d’une politique nouvelle va de pair avec un esprit de responsabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

L’intégralité des débats ici : http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2011-2012/20120025.asp#P488_98692